Pablo Cots
STRU GGLE
Par Benoît Blanchard, 2022.

IL n’est pas fortuit que la peinture de Pablo Cots semble vouloir nous dire quelque-chose,
« GOAT », « DIG », « LAW », ou encore « BYE BYE ». Il y a là tout ce qu’il faut d’incitations,
d’invectives et d’apostrophes pour se laisser dire qu’un message voudrait passer. Mais quel
message ? et à quelle fin ? Ces mots surnagent sur un fond flou qui semble les bercer. Ils
nous interpellent, mais avec douceur. Les lettrages ont cela d’attendrissant qu’ils évoquent
les typographies de bords de routes, celles que l’on croise au-devant des étals de vendeurs
de melon l’été, ou encore dans l’imaginaire doré des grandes traversés sur les routes
américaines.
Pour autant, ces mots ne vendent rien. La rêverie qui s’y associe est déjà en nous, dans nos
souvenirs et dans nos voyages – fussent-ils immobiles. Le plaisir de ces œuvres se niche dans
cet entre-deux que l’interprétation creuse dans notre esprit à chaque fois que nos regards se
posent sur une suite de lettres. Tout un passif, personnel et collectif, émerge. C’est à la fois
l’apprentissage scolaire, nos lectures et nos tournures d’esprit qui se répondent et tressent à
nos lèvres un sens, et parfois, l’absence de sens. Les mots surgissent. Leur présence, avant
d’être un message, est le fruit d’une surprise. Ce n’est qu’en suite qu’un arrière-goût vient
recouvrir la peinture d’un discours. Selon, ce qui surnage sera peut-être l’ironie publicitaire
d’Ed Ruscha, les tentatives de faire éclore un langage abstrait par Wassily Kandinsky, les
pochette de la collection de disques parentale, la poésie DADA de Tristan Tzara, le bruit du
vent sur la mer, ou encore une ritournelle enfantine entendue chantonnée dans une rue de
New-York :
« I SCREAM, YOU SCREAM, WE ALL SCREAM FOR ICECREAM »
Ce que fait apparaître cette chansonnette – que ce soit celle-ci ou une autre – c’est la qualité
sonore de l’œuvre de Pablo Cots. En elle comme dans toute adresse, il ne s’agit pas
uniquement de donner à voir, mais aussi de donner à entendre. Les mots peints par l’artiste
murmurent, ils bavardent, crient parfois, font échos, chuintent et couinent, bégayent et
frappent à l’oreille de celui qui lit.
La typographie est ce qui cristallise ce constant aller-retour entre qualité visuelle et sonorité.
Elle emprunte sa gestuelle autant aux enseignes qu’aux couvertures de livres et aux hasards
par lesquels Pablo Cots les a croisés un jour puis s’en est souvenu pour un tableau. Comme
une façon de se libérer d’une chose entêtante qui clignote dans le flou et vient éclore à
nouveau pour nous, qui faisons face à ces œuvres.
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Pablo Cots : Smart Painting ou comment détourer la peinture
Texte de Marianne Derrien / 2016

Des lettrages à la peinture, du graffiti au graphisme, de la toile au polystyrène, Pablo Cots pratique
une peinture qui estampille notre rapport aux espaces urbains. Entre éloge de la graphie et la création
d'ensembles visuels, Pablo Cots questionne la circulation des mots et des images passées au filtre
de la communication visuelle, d'Internet et de leur production : il recadre, retravaille ses peintures
en détournant et détourant en partie cette esthétique urbaine. De ses déambulations citadines alors
qu'il était encore étudiant aux Beaux Arts de Paris, il préleva des éléments qui l'entourait, en y injectant
le quotidien versus symboles urbains. À travers cette utilisation du quotidien comme matériau et
la réinterrogation du cadre, une tension constante est à l'œuvre entre la figuration et l'abstraction.
Dans ses premières toiles, des « ruines » contemporaines apparaissent, et affirment son rapport
à une architecture en changement, à la fois transitoire, précaire et instable avec les graffitis jalonnant
Paris et d'autres villes telles Berlin où il vécut pendant quelques années. Par la propagation de
touches et de surfaces picturales, une multiplicité de signes et de langages s'imbrique et interroge
la manière dont l'écrit se propage
dans l'espace public. Dans la continuité de ce travail pictural,
Pablo Cots a approfondi son intérêt sans faille pour
l'édition et les typographies. En détournant
et détourant des logos de leur contexte initial, il s'exerça à une ethnologie des modes de vie en jouant
avec le vocabulaire inhérent à l'écosystème de l'art contemporain.
#Icônes#Mixage
À l'ère du post-internet, Pablo Cots affirme à contrario une esthétique du pré-internet des icônes
du monde informatique. En informatique une icône est une petite image symbolisant un élément,
comme un programme ou un document, auquel elle est associée *.
En matérialisant et pétrifiant
ces icônes - fichiers – dossiers, Pablo Cots fabrique et façonne une peinture-objet à la manière
de l'artiste américain Claes Oldenburg qui n'avait de cesse de faire des répliques d'objets du
quotidien. Révéler, mélanger, mixer les esthétiques voires les attitudes.
#style#communauté
Cette peinture faite du poids et du choc des mots permet d'y apposer une nouvelle croyance.
Des vestes en jean
aux écrans d'ordinateur, Pablo Cots se nourrit des modes vestimentaires tels
des porte-drapeaux de marques, du life style aux cultures populaires, qui réveillent des mémoires
collectives. Pablo Cots prélève ces codes en un clic au sein de ces contre-cultures ou cultures
alternatives, fortes incarnations graphiques et impacts visuels garantis.
#Flat#design#objet#peint
Le design plat ou flat design est un style de design d'interface graphique caractérisé par son
minimalisme. Il se base
sur l'emploi de formes simples, d'aplats de couleurs vives et de jeux
de typographie (…) Un smartphone ou téléphone intelligent, est un téléphone mobile évolué
disposant des fonctions d'un assistant numérique personnel, d'un  appareil photo numérique 
et d'un ordinateur portable*. Aux origines du digital était la peinture. Pablo Cots questionne
la nature et le support qu'est l'écran. Du support à la peinture-écran au fond d'écran monumentalisé.
#Manuel#vernaculaire#rupestre
De la mise en page à la création de logo, Pablo Cots met à l'épreuve l'esthétique DYI. Fascination
et célébration ou retour en arrière ? Il révèle l'aspect rupestre des écritures tant vernaculaires
que contemporaines. Bricoleur qui utilise divers matériaux comme le plâtre et le polystyrène,
Pablo Cots célèbre le fait main. L'art vernaculaire désigne un art ancré dans le passé (les mythes,
les croyances et les traditions) et exercé dans une communauté restreinte. L'art vernaculaire est fondé
sur la mémoire collective.(...) L'expression « art rupestre » (du latin rupes, « roche ») désigne l'ensemble
des œuvres d'art au sens large (sans appréciation esthétique) réalisées par l'Homme sur des rochers,
le plus souvent en plein air. La plupart des auteurs l'opposent aujourd'hui à l' art pariétal (du latin 
parietalis, « relatif aux murs », art sur parois de grottes en intérieur)*.
#Keep#scrolling
Manufacture de nouveaux sens et de contenus assemblés, l'exposition Keep Scrolling porte
une réflexion sur les rapports entre culture et marque. De l'état d'esprit aux pictogrammes, Pablo Cots
reconsidère le logo comme un signe pictural. Sa peinture customisée télescope des esthétiques,
celles de la culture underground à la culture savante. De ces emblèmes emblématiques que sont

les termes et le lexique de l'ère digitale Logo / No Logo, Myspace, 72dpi, Copy, Paste, Wifi, Myspace,
Pablo Cots célèbre ces données en jouant avec les typographies qui contiennent en elles les ambiances
et les saveurs d'une époque. L'ère des réseaux sociaux et des nouvelles technologies pourrait avoir été
préfigurée dans les cultures des années 60 et 70. Photoshopeur pictural, Pablo Cots façonne un
environnement fait de ces faux livres et peintures en téléchargement permanent au sein de nos mémoires
personnelles. Cherchant à rematérialiser une mémoire déjà perdue et vouée à disparaître, Pablo Cots

fait l'éloge d'une nostalgie anticipatrice et contenue dans ces livres sans écrits qui pourront peut être
un jour transmettre un message ou une histoire. Écrin de nos savoirs ou mode d'emploi de nos vies
à l'ère des nouvelles technologies.


*Définition Wikipédia


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COURRIER DES LECTEURS (à l'occasion du cahier "un artiste un métier d'avenir")
Texte de Dorothée Dupuis / 2013

Chère Dorothée,
Je ne comprends pas pourquoi Pablo Cots s'obstine à ignorer l'héritage de l'art conceptuel
américain des années 1970. Pourrais tu m'éclairer ?
Julien, 35 ans
Cher Julien,
Je comprends ta question au vu de tes recherches actuelles. Il te semble impossible qu'un jeune
artiste comme Pablo puisse se ficher de l'héritage de l'histoire de l'art moderne occidental à moins
d'être suicidaire. Et bien si, il s'en fiche. De toute façon, bientôt d'autres histoires de l'art
remplaceront cette histoire là, de toute façon un peu moribonde, tu en conviendras, des histoires
venues d'autres cultures, abreuvées à d'autres récits, d'autres savoir-faire. Et, à ce moment-là, tu
comprendras l'œuvre de Pablo. Tu verras, ça ne fera pas mal.
Chère Dorothée,
Que penses-tu de la récurrence du motif végétal dans la pratique de Pablo Cots ? Penses-tu qu'il
s'intéresse aux problématiques postcoloniales ?
Mélanie, 35 ans
Chère Mélanie,
Je pense que si Pablo s'intéresse aux problématiques postcoloniales, il ne s'en fait en tout cas pas le
porte-drapeau, et que sa posture est certainement plus à rapprocher de celle d'un Monsieur Jourdain.
Il est en effet farouchement attaché à certaines formes d'expression populaire comme la peinture
murale, la figuration ou la bande dessinée, et on trouve dans son travail de nombreuses influences
non occidentales, comme l'art antique égyptien ou le muralisme mexicain, qu'il semble utiliser avec
une probable distanciation critique. Quant aux plantes, je trouve qu'il dessine vachement bien les
yuccas, c'est vrai.
Chère Dorothée,
Je vois dans les tableaux de l'artiste Pablo Cots l'annonce certaine d'un changement de paradigme
du statut de l'artiste ; en fait, l'annonce de sa fin prochaine. Que penses tu de ce statement ?
Paul, 55 ans
Cher Paul,
La mort de l'artiste, tu as raison, est un sujet largement traité dans l'œuvre de Pablo Cots. Poursuivi
par des policiers, persécuté par des divinités étranges dans son sommeil, quand il ne risque pas de se
faire assassiner par un galeriste malveillant ou un concurrent coriace, la « persona » artistique de
Cots est toujours en instance d'être supprimée. Mais je rattacherai plutôt cette peur de la disparition
à une forme de paranoïa créative de l'artiste quant à la figure d'« outsider » qu'il entend encore et
toujours incarner de façon critique par rapport à ce qu'entend représenter le monde de l'art dit
« traditionnel », qu'à un statement postnitzchéen sur la mort de l'homme.
Chère Dorothée,
Tu pourrais faire passer un message à Pablo ? C'est un artiste brut, et nous ne lui achèterons
jamais une toile pour Beaubourg. JAMAIS.
Christine, 44 ans
Chère Christine,
Si c'est pour faire comme avec Agnès Martin, que personne ne voulait acheter parce qu'on ne
trouvait pas sérieux ses dessins au crayon et à la règle, et que vous avez finalement acquis quand
elle avait 80 ans à des prix exorbitants, et bien je t'en prie. Ce n'est pas comme si les finances de
l'État pouvaient se le permettre.
Chère Dorothée,
Touchée par la récurrence du motif égyptien dans le travail de Pablo Cots, je voudrais lui faire
parvenir un pass gratuit d'un an pour les Galeries égyptiennes de notre musée. En effet, certains
motifs paraissent manquer d'un peu de documentation. Pourrais-tu m'indiquer son adresse ?
Marie-Laure, 52 ans
Cher Marie-Laure,
Tu peux envoyer le pass à :
Pablo Cots
1 sente Giraud - 93260 Les Lilas.
Il te remercie de cette charmante attention, en revanche, tu es un peu dure avec l'artiste, tu sais bien
que Pablo Cots cherche plus à évoquer dans la citation graphique à l'art égyptien les liens spirituels
existant entre Art et Vie, qu'une véritable représentation de ses formes vernaculaires. Mais quand
allez-vous cesser d'être si littéraux ?
Chère Dorothée,
Les références récurrentes aux forces de l'ordre dans le travail de l'artiste m'intéressent vivement :
j'y vois un rapprochement avec les postures de refus d'autorité que pouvait mettre en œuvre un
artiste comme Yves Klein. Es-tu d'accord avec cette intuition ?
Laurent, 43 ans
Cher Laurent,
Et bien oui, tu touches dans le mille ! Même si je déteste Yves Klein, on peut voir dans l'obstination
de Cots à se positionner dans son œuvre à la fois en victime ET en gourou un parallèle avec la
figure démiurgique que s'acharna à incarner Klein, dont l'obstination finit par payer quelques
années plus tard en termes de reconnaissance, autant institutionnelle que de marché. Souhaitons à
Pablo un destin de ce genre (moins l'infarctus).
Salut Dorothée !
L'éclectisme de tes choix artistiques continue de me sidérer. D'ailleurs, je n'arrive pas à savoir si
j'adore ou si je déteste le travail de Cots. J'hésite d'ailleurs à le considérer comme un génial
appropriationiste ou un vulgaire gribouilleur. Et toi, quel est ton avis ?
Damien, 35 ans
Cher Damien,
Tu poses toujours de drôle de questions ! Et tu es toujours aussi indécis, ça te perdra. En ce qui me
concerne, je pense que c'est une fausse question : une pratique est une pratique, c'est elle qui fait
exister le travail, elle est contingente de son contexte de production. Les peintures de Pablo sont
exposées au Commissariat, c'est de l'art contemporain ; chez le coiffeur, des peintures du
dimanche. Dans la rue, c'est du street art. Elles sont ce qu'il se donne les moyens d'en faire. Les
peintures de Pablo te parlent-elles ? Reflètent-elles tes angoisses, tes préoccupations ? Apprécies-tu
leur facture, leurs couleurs, leur format ? Pose toi les bonnes questions, regarde un peu. Arrête de
faire ton intellectuel deux minutes.
Salut Dorothée !
Tu pourrais me parler des liens entre art et graffiti dans la pratique de Pablo Cots ? Et d'ailleurs,
est ce vrai qu'il a été graffeur avant d'être artiste ? Se pourrait-il qu'il le soit encore ?
Matthieu, 40 ans
Salut Matthieu !
Et bien, d'aucun disent que Pablo a commencé l'art par le graffiti à l'âge de treize ans, et qu'avant
son passage aux Beaux-Arts de Paris, c'était un dessinateur autodidacte. Ça ne m'étonnerait pas
qu'il ait un « blaze » ou deux encore actifs et que tu ne croises certaines de ses créations dans Paris
sans le savoir. Les motifs récurrents du mur de brique, de la bombe de peinture, souvent associés
ironiquement au chevalet, semblent effectivement témoigner du dilemme street art / art
contemporain que se posent encore beaucoup d'artistes qui préfèrent cacher leur passé de taggeur, le
considérant souvent comme honteux. Au moins, il ne nous a pas fait l'injure de faire des graffiti sur
toile.

Bonjour Dorothée !
Penses-tu qu'un artiste qui ne se vend pas puisse être un bon artiste ? (je ne dis pas ça pour Pablo
bien sûr)
Olivier, 49 ans
Cher Olivier,
Il y a malheureusement beaucoup d'art de très bonne qualité qui ne se vend pas. Notamment parce
que beaucoup de personnes ne savent pas le vendre. Et puis tu sais, le marché est une chose relative.
Par exemple, qui aurait envie de boire du Coca-Cola si nous n'avions pas tous les jours que Dieu
fait de grandes publicités, affiches, spots de pub, annonces radio, et j'en passe, pour nous forcer à
nous procurer ce produit pernicieux qui, en plus de ne pas posséder un goût très raffiné, est
atrocement nocif pour la santé ? Le jour où Pablo Cots fera la couverture de Frieze, ne t'inquiètes
pas, son compte sera bon, style ou pas style, street art ou pas street art, artiste brut ou pas artiste
brut. Et tu seras bien content d'avoir fait cette visite d'atelier en 2010.
Chère Dorothée,
Pourquoi Pablo est-il obsédé par le Mexique ? En ce qui me concerne, je conseille plutôt aux
artistes d'oublier l'héritage muraliste, c'est vraiment trop ringard.
Pablo, 38 ans
Cher Pablo,
C'est normal que tu rejettes ta culture d'origine. Heureusement pour toi, ce chapitre honteux de
l'histoire de l'humanité, cette atroce infériorité dans laquelle l'Europe et les États-Unis vous ont
endoctrinés et maintenus pendant toutes ces années, est bientôt terminée. Dans quelques temps, les
Européens commanderont de grandes peintures murales dans toutes leurs villes sinistrées en un
nouveau New Deal, parce que de toute façon tout le monde sera au chômage. Pablo aura alors un
avantage significatif.
Chère Dorothée,
J'aimerais bien que Pablo arrête de marcher sur les plates-bandes d'un de nos artistes, Pierre la
Police. En effet, comme tu le sais, artiste-illustrateur est un créneau de niche et il est important de
demeurer très peu nombreux sur ce secteur au demeurant pas vraiment porteur. Si ce message n'est
pas entendu, je devrais régler le problème par moi-même.
Kamel, 48 ans
Cher Kamel,
Tu parles vraiment trop comme une racaille ! En plus, ce que tu dis n'est pas hyper sympa pour
Pierre la Police, que j'apprécie beaucoup. Sache que mis en valeur à côté de conceptuels sensibles
comme Nicolas Vargelis, ou d'appropriationistes secs comme Justin Meekel, l'art de Pablo Cots
s'éloigne rapidement de Marjane Satrapi pour se rapprocher furieusement de Guy de Cointet. Que
l'intérêt stratégique et financier de tels rapprochements t'ait échappé me surprend furieusement.
Chère Dorothée,
Le choix de la peinture comme médium me paraît très audacieux pour un jeune artiste : en effet,
vous autres jeunes ne pensez-vous pas que c'est un médium totalement passé d'âge ?
Alfred, 62 ans
Cher Alfred,
Au contraire, nous autres jeunes, comme tu dis (et je souris, pensant à ces hordes d'arrivistes nés en
1987 envahissant avec fracas les colonnes de Mousse et Flash Art en pensant à ma propre année de
naissance) retournons avec une extase mêlée d'angoisse à la peinture, dans l'espoir de faire renaître
un peu de cette jouissance du médium morte avec les années 1970 et que nous n'avons par
conséquent jamais connue. Pablo ne se pose pas de questions : il peint. Il représente. À la manière
d'un Basquiat, d'un Haring, d'un Balthus, d'un Matisse, d'un Dalí, il peint ce qui lui passe par la
tête, sa vie, ses rêves, ses observations. Et tu sais, il fait aussi des installations, très belles, où il mêle
reproductions de portions de murs (je dirais même de réalité !) investis qu'il trouve dans la ville,
avec objets et textures, dans des semi ready-made très contemporains qu'un John Armleder, un Cy
Twombly ou une Jessica Stockholder ne renierait pas. Dès lors, qu'est ce qui est de notre époque, et
qu'est ce qui ne l'est pas ? Et d'ailleurs, depuis Internet, tout ne s'est-il pas enfin mélangé dans le
Grand Tout ? Enfin. Continuons cette conversation sur Facebook ce soir, comme tu t'en doutes ces
colonnes sont trop courtes pour répondre de façon exhaustive à tes questions existentielles.

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Nature morte aux Latin Queens
Texte de Didier Semin / 2009

Des graffiti sur un mur, c'est une sorte de fresque ou de tableau, en tous cas d'un point de vue logique : de la peinture sur un support plan, formant des images et des mots, dans une intention autre que strictement décorative ou utilitaire. Ce lien logique ne vaut pas, cela va de soi, nécessairement  pour approbation de la pratique des graffiti : bien peu sont véritablement plus beaux que le mur vierge qu'ils investissent. Nombre de tableaux qu'on voit dans les galeries sont, certes, également moins beaux que la toile vierge sur laquelle ils sont peints : mais au moins ne vous les fourre-t-on pas de force sous le nez à chaque coin de rue.
Lorsque Pablo Cots peint un mur de graffiti, il fait donc un tableau de tableau, une image d'image. Observons Latin Queens (la toile tire son titre d'une des marques emblématiques qui se lisent dans la partie supérieure gauche : la signature d'un gang féminin de Barcelone, les Latin Queens). Le visage stylisé, les signatures stylisées (ou tags) ne sont pas essentiellement différents à la surface du tableau  de ce qu'ils sont sur le mur qui a servi de modèle, ils pourraient à eux seuls faire un tableau, probablement assez médiocre, comme sont souvent les tableaux des tagueurs qu'on invite, pour des raisons liées à l'ordre public davantage qu'à des considérations esthétiques, à troquer les murs des villes contre des toiles. Mais ce visage esquissé, de même que les signatures, se détachent sur le fond d'un mur qui, lui, est imité - c'est à dire bien différent d'un vrai mur. Le léger relief des briques, le salpêtre qui ronge le bas de la paroi ne sont que des illusions, qu'un art consommé de la peinture nous livre sur la toile.
Il faut s'approcher pour deviner comment la couleur brossée peut à ce point, sans être organisée en trompe-l'œil, rendre le sentiment d'un mur dégradé. Du coup, le visage et les tags basculent eux aussi dans le monde de l'imitation, dans cet univers de la peinture qui a ses règles propres, et qui se trouve comme par essence capable de racheter les pires horreurs : c'est une chose bien connue que la représentation de monstres peut accoucher de chefs d'œuvres, et moi qui déteste le poisson, son odeur et sa texture, je me délecte de Chardin et des natures mortes hollandaises qui étalent à la surface du tableau de gluantes chairs de poisson.
On l'aura compris : je réprouve sans appel la pratique des graffiti, morceaux de calligraphie académique que l'on m'inflige quotidiennement sans que j'aie rien demandé, et la réprouve d'autant plus fortement qu'elle vient aujourd'hui souvent gâcher la mélancolie de paysages industriels antonioniens. Mais j'aime infiniment les tableaux de Pablo Cots quand ils restituent ces murs et ces graffiti avec la gourmandise que les peintres mettaient autrefois à rendre la chair du poisson, le grain des tapis, le lisse ou le rugueux des peaux, le velouté des fruits. Sans doute Pablo Cots a-t-il pour les graffiti qu'il peint (je le soupçonne d'en avoir lui-même fait de nombreux, autrefois) toute la tendresse dont ma condition de grincheux me prive d'emblée. Mais c'est parce qu'il réussit à incorporer  - comme on dit en cuisine qu'on incorpore une matière délicate, mettons les blancs en neige, à une préparation - cette tendresse, qui est sienne, dans les tableaux, que je peux moi aussi les aimer beaucoup, et y reconnaître un lointain héritage de la tradition des mosaïques antiques qui faisaient un pavement de luxe de l'imitation d'un sol jonché de détritus, et de ces générations de peintres de natures mortes qui se sont faits les artisans de la transmutation du presque rien en œuvre d'art . Il faut à cette opération un sens aigu de la matière et du geste, dont Pablo Cots me paraît, malgré son jeune âge, déjà remarquablement doué.

Still Life with Latin Queens by Didier Semin
Graffiti on a wall, a sort of fresco or painting, at least from a logical point of view: paint on a flat surface, forming images and words, whose intention is other than strictly decorative or useful. It goes without saying that this logical link does not necessarily imply approval of the practice of graffiti: few of them are truly better than the blank wall they cover. Many paintings you see in galleries are likewise, less beautiful than the blank canvas they are painted on, but at least they’re not forced under your nose on every street corner.
When Pablo Cots paints a wall of graffiti, he does a painting of a painting, an image of an image. Let’s take a look at Latin Queens (the painting takes its title from one of the emblematic marks read in the top left hand corner: the signature of a girl gang in Barcelona, the Latin Queens). Stylized face, stylized signatures (or tags) are not essentially different on the surface of the painting from what they were on the wall that served as a model. They could in themselves make a painting, probably a mediocre one, as is often the case when taggers are invited, for reasons of public order, to swap the city walls for canvases.
But this sketched face, as well as the signatures, stand out on the support of a wall that is imitated – i.e. very different from a real wall. The low relief of bricks, the saltpeter that eats away the bottom of the wall, are only illusions delivered onto canvas via a consummate art of painting.
You have to get up close to guess how brushed color brushed can, to this extent, without being organized into a trompe-l'œil, render the sentiment of a rundown wall. Suddenly, the face and the tags also flip into the world of imitation in this world of painting which has its own rules, and which finds itself, in essence, able to atone for the worst horrors. As everyone knows, representing monsters can give birth to masterpieces and although I hate fish, its smell and its texture, I delight in Chardin and Dutch still lives that smear the surface of the painting with the slimy flesh of fish.
So let’s get this straight: I totally disapprove of the practice of graffiti, snatches of academic calligraphy that are imposed on me daily without my say-so, and I disapprove even more strongly because today it often spoils the melancholy ambiance of Antonionian industrial landscapes. But I have an infinite love for Pablo Cots’ paintings when they describe these walls and their graffiti with the passion that painters in the old days employed to render fish flesh, the texture of rugs, smooth or rough skin and the velvety surface of fruit. Pablo Cots undoubtedly feels all the tenderness for the graffiti he paints (I suspect he did them himself in his early days) that my grumpy state deprives me of from the outset. But it is because he manages to incorporate – as they say in cooking, when you incorporate a delicate substance, whipped egg whites, for example, into a sauce – his particular tenderness into the paintings, that I too can like them and recognize the distant heritage of antique mosaics that
made luxury ornamental tiling of the imitation of a floor covered in trash, and the generations of still life painters who made themselves craftsmen of the transmutation of almost nothing into work of art. This operation requires a sharp sense of material and gesture and despite his youth, Pablo Cots seems to me to be already remarkably gifted with it.

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Par Paul Leger
2009


"De la Croix ou de Damas, tous les chemins, toutes les impasses, tous les culs-de-sac comme toutes les avenues de la Grande Armée, tous les boulevards des Filles-du-Calvaire,  tous les sentiers de la guerre mènent à Rome. Comme le chemin des Ecoliers, toutes les rues et les ruelles les plus malfamées mènent ailleurs."
Jacques Prévert
C'est bien de cet ailleurs dont s'empare la peinture de Pablo Cots. Fruit BrassaÏen jaillissant de ses premières incantations, il nait sur les murs, et c'est avec une rare abnégation que l'artiste en est devenu le chantre fidèle.
Sa vision sait rendre familiers des  signes éphémères perçus le plus souvent comme vandalisme destructeur. Suspendus au delà d'un réel anxieux, précipité, les figures, tags, enseignes, se révèlent dans leur authenticité avec comique et sagesse. Il est curieux de trouver un peintre de cette zone fougueuse s'obstinant à nouer des correspondances entre les désordres urbains glanés au gré de ses nombreux voyages, et ses tensions  intimes, pour restituer à chaque peinture de rue la sérénité d'une vue idéale. Paix retrouvée hors des chemins de Rome et des avenues vierges, c'est au coeur du chaos que brille un feu d'espoir et de liberté essentielle.
Outre le raffinement de sa perception des formes liées au graffiti, qui échappe facilement au néophyte, et dont on perçoit notamment qu'elle rejette toute virtuosité du geste et lui préfère l'erreur et la maladresse, son inspiration se détourne des canons esthétiques établis. Au delà du délit, de manière inattendue, Cots choisit souvent la frontalité simple, composition presque enfantine et jamais dramatisée, pour rendre plus fort son propos dans une forme de nostalgie bienveillante. La violence sourde des villes, l'isolement et l'abandon n'y sont jamais représentés au premier plan, le graffiti agissant plutôt comme un antidote à une douleur intériorisée et pudique.
Cette bénédiction complice qu'il adresse à la rue se retrouve aussi dans les installations de l'artiste. Accumulation d'objets trophées, mélange de signalétiques et débris de jouets, présence ironique d'un office de police monumental, fonctionnent comme la reconsitution d'icônes laissées aux encombrants, ou celle d'un terrain vague comme autoportrait. Gardien du temple, Pablo pratique la récupération comme la prière, sanctifiant l'art bâtard voué à la destruction et trouvant dans la rue et l'anonyme une forme d'innocence perdue.
C'est ainsi que le peintre évite toutes les impasses, ne courtisant aucun système plastique de l'ère du temps, mais cherchant la synthèse ancienne entre l'intérieur et l'extérieur, fusion explosive qui fait de la rue l'intemporel complice du regard.

by Paul Leger

"From the Cross or from Damascus, all roads, all dead-ends and all avenues de la Grande Armée,
all boulevards des Filles-du-Calvaire, all the paths of war lead to Rome. Like the chemin des Ecoliers,
all the most disreuptable streets and lanes lead elsewhere.”

Jacques Prévert 
It is this “elsewhere” that Pablo Cots seizes on in his painting. A Brassaïan fruit springing from his first incantations, it was born on the walls and it is with rare abnegation that the artist has become its faithful high priest.
(...)Suspended above anxious reality, thrown down, the figures, tags and signs reveal themselves as authentic, humorous and wise. It is odd to find a painter of this fiery zone insisting on bridging the urban disorder gleaned on his many travels and his inner tensions, to recreate in each street painting the serenity of an ideal image.(…)
Beyond misdemeanors, unexpectedly, Cots often chooses a simple frontal approach and almost child-like, non-dramatized compositions to reinforce his stance in a form of benevolent nostalgia. The muted violence of cities, isolation and abandonment are never represented in the foreground. Graffiti acts more as an antidote to discreet, interiorized pain.
The friendly blessing that he bestows on the street is also found in the artist’s installations. (…) Guardian of the temple, Pablo practices the salvaging of materials like a prayer, sanctifying a bastard art destined for destruction and finding in the street and in anonymity a form of lost innocence.
This is how the painter avoids dead-ends, courting no hip visual system but seeking the old combination of interior and exterior, an explosive fusion that makes the street a timeless friend in the art of looking.

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